CONTINU ET DISCRET

CONTINU ET DISCRET
CONTINU ET DISCRET

Le mot continu désigne en général ce qui est d’un seul tenant, ce qui se module avec tous les degrés intermédiaires souhaitables (ainsi les flux liquides nous semblent continus, l’espace et le temps nous paraissent devoir l’être); de l’autre côté, relève du discret ce qui éclate, se résout en individus isolés, ce qui est séparé d’avec soi-même, comme l’indique l’étymologie latine (ainsi les bornes kilométriques le long des routes, les mots successifs dans les phrases, ou les lettres dans les mots sont les unités d’ensembles ou de séries discrètes). L’opposition de l’un avec l’autre fut pensée depuis l’origine grecque, comme en témoignent notamment les raisonnements d’allure paradoxale attribués à Zénon d’Élée. Si les deux maîtres mots furent de la sorte sollicités de maintes façons par le discours philosophique, le discours formel et le discours scientifique au moins, la confrontation du continu avec le discret est plus directement suscitée, d’après ce que nous estimons, par le langage théorique contemporain; ce langage, inspiré par la pensée logico-mathématique plus ou moins récente, permet une approche plus claire de chacun des termes considérés, ainsi que de la nature de leur opposition.

Nous nous proposons donc de présenter les problèmes du continu et du discret à partir de l’évaluation logico-mathématique «moderne» de ceux-ci. Nous évoquerons ensuite une démarche philosophique célèbre qui fait jouer un rôle fondamental à l’opposition du continu et du discret: celle du criticisme kantien, prolongée au XXe siècle par la phénoménologie et le structuralisme. Nous donnerons finalement une idée des dispositifs multiples qui dans les théories scientifiques de ce siècle tirent parti de la tension entre le continu et le discret, confirmant ou contestant les conceptions épistémologiques ou ontologiques induites par le kantisme à son sujet.

La première étape de ce programme, celle qui concerne le domaine logico-mathématique, se divise elle-même en trois moments: on commencera par thématiser l’opposition dans le vocabulaire des mathématiques élémentaires , c’est-à-dire par signaler les aspects minimaux de l’opposition, ceux qui sont discernés dans une culture mathématique aujourd’hui très répandue; puis on signalera les problèmes associés à ladite opposition du côté de la théorie des fondements , simultanément ce que disent les discours de type fondationnels à propos du continu et du discret, et le sens en lequel par leurs décisions méthodologiques ils illustrent la profondeur de l’opposition, sa radicalité; finalement on racontera un peu la «dynamique» du continu et du discret dans les mathématiques classiques et contemporaines.

1. Signification logico-mathématique de l’opposition

Point de vue élémentaire

Il faut distinguer un emploi adjectival du mot continu, principalement dans la locution application continue , de son emploi substantif, lorsqu’on parle du continu. Dans le premier emploi, continu désigne un caractère de régularité: les applications continues ne prennent jamais une valeur en un point qui contraste topologiquement avec les valeurs prises au voisinage de ce point. Continu s’oppose ici à discontinu, en un sens qui recoupe celui de la langue naturelle: on parle bien de discontinuité lorsqu’un objet se laisse attribuer des contenus qualitatifs ou quantitatifs disparates dans un champ de variabilité faible. Cet emploi est important, ne serait-ce que parce que les applications continues sont les êtres fonctionnels fondamentaux de la topologie (les morphismes de la catégorie associée), mais ce n’est pas lui qui fait comparaître l’opposition du continu et du discret.

Lorsqu’on parle du continu substantivement donc, on se réfère le plus souvent, de manière informelle, à la détermination essentielle de l’ensemble R des nombres réels, substrat de l’«analyse réelle», et dont la conquête fut si importante pour les mathématiques et la physique. Dans cette acception le continu s’oppose en effet au discret, l’ensemble des nombres réels présente une «richesse» qui le rend fortement hétérogène à ce que l’on comprend sous le mot discret; en fait, R contient un sous-ensemble «discret» au sens fixé par la topologie, à savoir l’ensemble Z des entiers relatifs, si bien que l’opposition s’incarne comme l’opposition de R et Z, conformément au schéma élémentaire suivant:
R:Z:

L’opposition quantitative de ces deux ensembles fut révélée par Cantor, elle est en quelque sorte le point de départ de la théorie du transfini, la première illustration du sens qu’il y a à comparer les infinis au moyen de la notion d’équipotence tirée de la théorie des ensembles. L’ensemble Z a la même infinité que l’ensemble N, c’est l’infinité baptisée dénombrable , soit l’infinité de ce qui est justiciable d’une énumération, de ce qui s’égrène, s’ordonne en liste selon un principe permettant d’épuiser la totalité; on pourrait appeler cette infinité l’infinité du «et ainsi de suite»; or l’ensemble des nombres réels ne peut pas être énuméré de la sorte, on montre que toute supposée énumération permet de définir un nombre réel qui lui échappe, jamais atteint par elle: une énumération de R est «self-réfutative». Le continu est donc associé à une infinité qui transcende par sa richesse le dénombrable du sous-ensemble discret Z: l’objet abstrait associé à cette infinité, le cardinal de R, se voit d’ailleurs appelé continu en théorie des ensembles.

L’opposition topologique tient dans le fait que R est un espace topologique connexe, un corps topologique connexe pour être plus précis, c’est-à-dire une entité qu’on ne peut pas faire éclater en deux bassins autarciques, en deux «ouverts» non triviaux, pour employer le mot fondamental du discours de la topologie. Alors que Z, comme tout espace discret, éclate en une infinité de tels bassins, chacun de ses éléments valant pour un «lieu» autonome (ne contaminant pas selon un bord d’autres lieux): c’est un ensemble totalement morcelable, topologiquement constitué d’éléments «insulaires», collection «lacunaire» d’objets isolés (le concept d’espace topologique discret codifie cette séparabilité absolue dans le discours mathématique contemporain). On a longtemps parlé de cette opposition topologique du continu et du discret en se contentant de mentionner la «divisibilité à l’infini» qui règne dans R et qui n’est pas satisfaite dans Z; mais on voit clairement aujourd’hui que cette propriété ne suffit pas à garantir l’impossibilité d’une scission de l’ensemble en deux ouverts: l’existence des nombres irrationnels, c’est-à-dire la non-existence d’un rationnel de carré 2 par exemple, permet de construire des morcellements de Q, qui possède pourtant la propriété dite de «divisibilité infinie» (qui est archimédien en termes techniques). En fait, la propriété de connexité se traduit par le fait que «toute partie majorée de R admet une borne supérieure» (la connexité et cet énoncé sont équivalents pour les corps ordonnés en général): tout ensemble qui ne s’étend pas vers l’infini est «arrêté» par un nombre qui fait seuil, sans qu’on puisse pour autant affirmer de ce nombre qu’il appartient à l’ensemble. Cette propriété de la borne supérieure permet d’affirmer la «convergence» de certains procès infinis portant sur les nombres réels: elle garantit que ces procès déterminent «à la limite» un nombre réel unique leur tenant lieu d’horizon. Nous atteignons ainsi un aspect essentiel du continu réel: la «complétude». R peut aussi se caractériser topologiquement par le fait que les suites de nombres réels dites «de Cauchy» y sont convergentes, c’est-à-dire par le fait que les suites de nombres dont les termes tendent à être infiniment proches les uns des autres sont attirées vers un nombre déterminé, «admettent une limite», sont «convergentes».

Ce qui est à noter, à propos de ces diverses reformulations de la connexité de R, c’est qu’elles mettent en évidence une certaine épaisseur de la «texture» de R: cet ensemble est pourvu en toute place, si petite soit-elle, d’une abondance bien répartie d’éléments, tant et si bien que les processus qui se resserrent, se contractent vers l’infiniment petit ne débouchent pas sur le vide, sur l’absence de tout élément de R, mais sur une «limite». De la sorte, on constate que la vue topologique et la vue quantitative sur R sont en harmonie. Tout se passe comme si penser un ensemble infini véritablement d’un seul tenant, penser le continu en un sens topologique impliquait la mise en jeu d’une quantité «infiniment riche», dont la teneur excède sur l’infini spontanément posé par l’esprit, celui du «et ainsi de suite» (le dénombrable). C’est le mystère de cette harmonie et de cet excès qui interroge la pensée depuis l’origine, et de plus en plus clairement aujourd’hui.

Continu et théorie des fondements

Du double aspect du mystère du continu et du discret, la logique et la théorie des ensembles, en première approche, ne retiennent que celui qui est lié au problème de l’infini en général: le problème du continu y est envisagé comme problème du «nombre transfini» associé à l’objet de l’analyse réelle. On se contentera ici de mentionner le théorème de Lowenheim-Skolem et le résultat de Cohen au sujet de l’hypothèse du continu: ces travaux, parmi les plus célèbres du domaine en question, permettent de bien voir comment se pose le problème du continu dans le cadre de la théorie de l’infini, et comment l’opposition avec le discret n’est pas étrangère à ce problème.

Le théorème de Lowenheim-Skolem, selon lequel tout système admettant un modèle admet aussi un modèle dénombrable, montre que la transcendance du continu sur le dénombrable peut n’avoir pas de contenu «objectif»: elle peut être seulement vraie en tant que formule valide du langage de la théorie des ensembles, alors même que les collections d’objets associées à 諸 et P( 諸) (tenants lieu du dénombrable et du continu respectivement) dans une réalisation du langage seraient concrètement équipotentes. Quant à P. Cohen, il a résolu, si l’on peut dire, le problème qu’il était naturel de se poser dès lors que la comparaison transfinie était inventée: existe-t-il un infini strictement intermédiaire entre le dénombrable et le continu? La réponse est qu’il est non contradictoire de poser qu’un tel infini existe, ou qu’il n’existe pas: à supposer que les axiomes de la théorie des ensembles soient non contradictoires, c’est-à-dire qu’il existe un modèle de cette théorie (un univers de Zermelo-Fraenkel), on peut construire un nouveau «modèle» où l’on est sûr qu’aucun infini ne se situe entre le dénombrable et le continu, et tout aussi bien un modèle où l’on est sûr du contraire.

D’une façon générale, ces résultats accentuent le caractère «problématique» de l’existence de l’infini continu et de la possibilité de déterminer correctement sa place dans l’échelle transfinie. Les structures logiques investies dans la théorie des ensembles axiomatisée qui a valeur de référence (à savoir ZF) ne suffisent pas à lever les indéterminations en la matière. Si bien que l’on comprend les réactions «constructivistes» et plus particulièrement «intuitionnistes»: pour ces courants de pensée, l’infini actuel ne doit pas être posé, pas même le dénombrable, si bien que la caractérisation «quantitative» du continu n’est plus possible, elle devient même un non-sens, toute la théorie de l’échelle transfinie étant rejetée. Comme le continu demeure un objet avec lequel la pensée mathématique possède certains rapports, les intuitionnistes proposent de le concevoir autrement que de manière ensembliste, comme «horizon» d’une classe de suites de nombres rationnels qu’il s’agit de définir de manière satisfaisante: c’est la notion intuitionniste de déploiement qui fixe les règles quant à l’«admissibilité» des suites, c’est-à-dire qui essaie de délimiter une classe suffisamment vaste de suites dont le principe d’engendrement reste suffisamment «constructif». L’attitude intuitionniste à l’égard de la réalité mathématique entraîne également le refus d’envisager les «applications» dont la définition en mathématiques usuelles repose sur l’actualisation de l’infini: il s’ensuit que les fonctions définies sur un segment [a , b ] du continu à valeurs réelles sont nécessairement continues, ne peuvent pas présenter de «discontinuité», ce fait étant en quelque sorte la simple transcription de l’exigence de calculabilité finie des images. Il apparaît ainsi que le continu substantif, le milieu infiniment riche dont les mathématiques cantoriennes admettent l’actualité, serait une condition essentielle à la pensée du discontinu adjectival, de l’irrégularité dans toutes ses modalités.

Ceux qui ne considèrent pas les problèmes logico-mathématiques du continu et du dénombrable comme dénués de sens acceptent les présupposés de la théorie des modèles, dont se réclament les résultats précédemment cités dus à Lowenheim-Skolem et Cohen. Dans un tel point de vue, la notion de multiplicité posée au départ de sa théorie des ensembles par Cantor se divise en deux aspects, l’un purement grammatical, l’autre présentatif. Au gré du premier, les mots «continu» et «dénombrable» renvoient à un langage faisant intervenir des objets littéraux nommés ensembles , une relation 捻 dite d’appartenance et la structure de la logique des prédicats, le tout n’ayant une cohérence que formelle; selon l’autre aspect, les mêmes mots qualifient des collections infinies qui se donnent à l’esprit d’un seul coup: ce dernier aborde, saisit, connaît avec une certaine évidence ces collections, il utilise à leur sujet les concepts dits «intuitifs» d’appartenance et d’inclusion (le travail de Cantor se classe a posteriori du côté de ce second aspect, bien que certaines de ses démonstrations se retrouvent dans la théorie axiomatisée engendrée par le premier). Un modèle est une multiplicité en tant qu’elle se présente, et peut donc être «intuitivement» qualifiée de dénombrable, finie, continue, et qui supporte par ailleurs la contrainte articulée linguistiquement au niveau de l’axiomatique ensembliste, incarne celle-ci; l’intuition dont il s’agit, qui doit embrasser tout l’univers cantorien, n’est évidemment pas celle du sens commun, ni celle de la perception, elle est complètement médiate. Dans cette façon d’admettre, à l’encontre des constructivistes, que l’infini se donne, se présente, existe actuellement sous le regard pensant, il y a comme une notion topologique primitive des collections: penser un divers infini, c’est penser une collection qui se présente «ensemble», dans l’atmosphère d’une proximité essentielle au titre de laquelle chaque objet s’abîme dans le tout, sans que les individus de la collection soient distributivement isolés des autres qu’eux par l’esprit, comme c’est le cas pour les systèmes finis représentés de manière discrète.

Le conflit entre le continu et le discret concerne donc l’activité logico-mathématique fondationnelle au niveau de sa méthode elle-même. L’option axiomatique ou formaliste, qui s’est montrée de plus en plus dominante au cours de ce siècle, semble réduire les mathématiques et la logique à un jeu linguistique: elle situe celles-ci dans le contexte d’une manipulation de langages symboliques, définis par leur alphabet et leurs règles d’articulation. L’ensemble des atomes alphabétiques est un ensemble d’unités distinctives, chacune repoussant les autres qu’elle et se définissant par cet espacement, de même que les assemblages de niveaux divers le font les uns vis-à-vis des autres: il s’agit d’une réalité de type discret, caractérisée par la libre réitération d’identités insulaires parmi leur totalité. Or la «topologie» primitive impliquée dans la notion de présentation des collections infinies constituant les modèles par exemple correspond à une persistance de l’au-delà du discret dans l’activité formelle, condition nécessaire à la pensée du continu comme infini particulier.

Dynamique du continu et du discret

Du côté des mathématiques non fondationnelles, l’opposition du continu et du discret se retrouve dans une certaine mesure dans celle de l’analyse et de l’algèbre. La définition rigoureuse de ces deux branches traditionnelles de la mathématique est sans doute impossible; on peut cependant dire que l’algèbre fut d’abord la théorie de la résolution des équations. Dans une large mesure, et pendant longtemps, l’algèbre est d’ailleurs restée dominée par le signe =, on y traitait de relations d’égalité, soit en les affirmant, soit en les transformant, soit en les prouvant, soit en les érigeant en problèmes. Est associée à ce symbole = une question dont la réponse est oui ou non, un test binaire: de la sorte, les possibilités et les structures commandées par le = prennent une tournure discrète, donnant lieu à des arbres de classification ou des arbres algorithmiques, des tableaux consignant les résultats ou régulant la méthode. Il n’est donc pas surprenant que la discipline algébrique traitant des nombres entiers (lesquels «exemplifient» canoniquement le discret comme on l’a vu), c’est-à-dire l’arithmétique, ait servi de modèle pour le projet hilbertien d’une grammaticalisation des mathématiques, plus ou moins réussie aujourd’hui. L’idée de ramener les mathématiques à l’exercice d’un jeu discret selon certaines règles, le projet axiomatique disposaient d’un environnement favorable avec l’algèbre; on notera à ce sujet que la structure de groupe , première grande structure axiomatique de la mathématique moderne, est sortie de la réflexion de Galois sur la théorie des équations. Rappelons pour finir que le vocable arabe dont dérive le mot «algèbre» contient déjà les sèmes de «réduction» et de «séparation» (en vue d’une forme stricte), annonçant par là même tout ce que nous venons de dire.

Le mot analyse , de son côté, signifie en langue naturelle décomposition du global, mouvement vers le détail: le regard analysant «resserre» sa visée, s’intéresse à la complexité de ce qui se passe dans un lieu réduit (il peut y avoir une infinie richesse dans cette exiguïté). En mathématiques classiques, cette considération du local donne la prédominance au signe 諒 de l’inégalité: cette dernière possède en général un degré, se module, renvoie à une échelle de variations, qui sera continue dans le cas d’un substrat continu. On voit comment la figure topologique et quantitative du continu s’associe naturellement à cette étude du local en tant qu’intense. L’analyse fut d’ailleurs d’abord l’étude des fonctions de la variable réelle, elle se situait donc tout entière et d’emblée dans le cadre du continu. Les méthodes de l’analyse ont conservé pendant la même période un rapport avec le mystère géométrique du premier continu qui se soit historiquement dévoilé, celui de l’espace réputé «sensible».

Jusqu’à un certain point, les mathématiques dites «bourbachiques» ont remis en question cette distinction de l’analyse et de l’algèbre. De leur point de vue, on oppose sans doute toujours les structures définies en termes de loi de composition (algébriques) et les structures topologiques, développant les possibilités incluses dans le concept de topologie; mais ce concept permet d’envisager le lieu dans le cadre d’une généralité nouvelle, qui n’implique pas nécessairement la référence aux nombres réels. Bien que la topologie de la droite réelle demeure un exemple essentiel, fournissant une remarquable occasion de mettre en œuvre le raisonnement topologique, la discipline topologie ne se limite pas à cet exemple, en particulier elle permet de fixer la notion de topologie discrète, qui nous sert de référence pour le discret en général. Néanmoins, cette théorie du lieu introduit un point de vue hétérogène à celui de la comptabilisation discrète, elle apporte une appréhension qualitative de la présentation éventuellement infinie, si bien qu’elle noue avec l’algèbre une sorte de rapport «dialectique», générateur de fort nombreux «progrès». Dans la plupart des secteurs de la recherche mathématique contemporaine, les points de vue algébriques et topologiques se marient: d’une part les objets étudiés sont souvent définis au moyen d’une intrication de notions topologiques et algébriques (par exemple, l’objet espace vectoriel topologique), d’autre part certaines constructions permettent aux problématiques des deux domaines de «passer l’une par l’autre»; c’est ce qui se produit dans les deux importantes disciplines ayant nom topologie algébrique et géométrie algébrique, telles qu’elles se sont constituées au cours de ce siècle.

La topologie algébrique repose sur l’idée d’associer des objets algébriques à tout espace topologique (groupes d’homotopie, d’homologie), d’étudier les répercussions au niveau de ces objets des qualités particulières du support topologique, et d’obtenir ainsi une technique nouvelle («détournée») pour démontrer des résultats topologiques. La géométrie algébrique, inversement, fabrique un objet «géométrique» (mais cet adjectif est ici synonyme de topologique) à partir de tout anneau commutatif (objet standard de l’algèbre commutative); à travers des constructions complexes, on prétend cette fois démontrer des résultats algébriques au moyen du détour par un univers topologique sophistiqué (dans le point de vue introduit par Grothendieck, la notion de topologie est elle-même généralisée dans le cadre de la théorie «algébrique» des catégories). On pourrait donner d’autres exemples de tels mélanges. Comme toutes les interférences, celles-ci peuvent être interprétées de deux manières: ou bien comme une présomption en faveur de l’idée que la topologie et l’algèbre, l’analyse et l’algèbre, le continu et le discret sont la même chose, ou bien comme la manifestation du fait que la tension entre le continu et le discret est féconde, se prête à d’autant plus de constructions synthétiques que ces termes sont profondément hétérogènes.

2. Investissement philosophique de l’opposition

Il existe une tradition philosophique rattachant le continu à l’Identité, au Même, à la Permanence: le structuralisme, qui pensait mener un combat contre ces figures, et tout particulièrement contre l’historicisme, nous a incité à considérer de préférence cette tradition, pour mieux la rejeter. Peut-être tire-t-elle sa force de la pensée de Leibniz, si l’on veut à tout prix déterminer une origine dans l’histoire de la philosophie: il se trouve en effet que cet auteur, qui fut un des principaux «pionniers de l’infinitésimal» dans le domaine mathématique, a simultanément formulé une philosophie systématique où la prise en compte du continu semble profiter à une description cohérente du monde, de l’Être, du possible, de leurs rapports avec le divin. Si l’on en croit par exemple les commentaires de G. Deleuze in Différence et répétition , la cohérence s’exprimerait chez Leibniz comme compossibilité des séries, concordance qui intègre les variations et les degrés continus des données locales. De la sorte, le mot continu est associé à ce qui converge, ce qui se recolle, ce qui fait unité (le principe de continuité, ainsi, exprime une certaine convenance de la cause et de l’effet). Mais le chef de file monumental de ce courant qui fait du continu une figure du Même est sans doute Hegel, pour nous «hommes du XXe siècle» au moins. Dans la Science de la logique , la dimension de «continuité» de la grandeur est en effet définie comme celle de l’égalité avec soi-même, le continu se dit de la grandeur en tant que les constituants élémentaires de celle-ci s’identifient les uns avec les autres et s’abîment dans son unité. Le discret, inversement, est thématisé comme éclatement, séparation de la grandeur (être en extériorité réciproque). L’ensemble de la pensée hégélienne peut être ressenti comme une thématisation unifiante et conciliatrice du réel, permettant de toujours poser l’Autre en continuité avec le Même, le mot continuité recevant ici le sens correspondant à l’emploi adjectival de continu en mathématiques. Pour autant que les thèmes du continu et du discret sont abordés pour eux-mêmes, dans la section «Quantité» du livre L’Être de la Science de la logique , le développement du procès dialectique amène une résolution de l’opposition du continu et du discret, au profit du Même, et donc en ce sens du continu tel que l’envisage Hegel.

Cependant, il existe un discours qui prend au sérieux le continu et le discret, chacun de leur côté, et qui formule leur opposition dans des termes qui rejoignent les points de vue logico-mathématiques présentés plus haut: je veux parler du discours explicitement critiqué par Hegel dans la Science de la logique , celui de Kant.

Chez ce dernier, le continu est la détermination fondamentale de l’espace et du temps, formes dans lesquelles le donné nous est donné, de notre «réceptivité». Pour que quoi que ce soit nous apparaisse, il faut que soient introduits par nous les «cadres» de l’espace et du temps, «fonds» sur lesquels se profile le divers sensible: or ces cadres sont décrits comme continus, explicitement. Kant mentionne comme propriété caractéristique de ces substrats continus la divisibilité infinie, ce qui est mathématiquement insuffisant, nous le savons; mais tout indique, et notamment la relation qu’entretient son épistémologie avec la science de son temps, que le continu réel est en fait visé par là, c’est lui qui se trouve a priori imputé aux phénomènes par les «axiomes de l’intuition», qui tirent les conséquences de l’esthétique et de l’analytique transcendantales. Il est important de noter que la divisibilité à l’infini, à elle seule, dépasse aux yeux de Kant les possibilités de l’ordre conceptuel, une ramification infinie ne pouvant pas selon lui être représentée dans le sens interne: si la divisibilité à l’infini (et même plus, la richesse quantitative et topologique du continu réel ) se trouve en effet donnée avec les formes a priori, c’est comme intuition, présentation a priori. Le continu est ainsi chez Kant cette détermination de l’espace et du temps qui exprime leur irréductibilité au concept, attestée dans l’évidence de leur présentation.

De l’autre côté, le discret est chez Kant le trait typique des structures représentatives, développées par la «spontanéité»: le discret est prédominant dans les systèmes de rapports mis en place par l’entendement. Il nous est d’autant plus facile aujourd’hui de cerner ce point que le structuralisme a singulièrement mis en avant l’image de l’entendement calculateur et des réseaux qu’il installe. La «table des jugements» dont se déduit la célèbre «table des catégories» énumère et classe les types généraux de mise en rapport de deux représentations dont est capable a priori l’esprit humain: d’après la nature de ces types, on reconnaît sans peine que les représentations sont ici envisagées comme d’espèce langagière, les jugements canoniques correspondant à des opérateurs mono- ou divalents portant sur des «propositions» au sens grammatical ou des syntagmes selon les cas. Le système des jugements s’articule donc comme un système discret, analogue à ceux que met en place la linguistique structurale. Les «concepts purs» de l’entendement (catégories), qui sont pour la connaissance les prédicats de l’objet quelconque, sont définis à travers la donnée des rapports typiques de la table des jugements: Kant adopte semble-t-il l’attitude structuraliste d’après laquelle chaque terme se définit par ses rapports, ses fonctions.

De la sorte, Kant a posé un retentissement «ontologique» de l’opposition du continu et du discret, renvoyant le continu à la Présentation, à l’Être-pour-nous, et le discret à la mise en œuvre du «calcul» en lequel consiste notre connaissance, au je pense comme principe logique, nom résumant la nécessité de nos jugements: la valeur objective de ceux-ci réside en ce qu’ils ramènent le divers à l’unité de ce je pense . Rappelons cependant que d’après les présupposés de l’idéalisme transcendantal, le continu n’est pas le milieu ambiant des choses en soi mais des phénomènes, c’est-à-dire que le clivage entre le continu et le discret se tient à l’intérieur du sujet, partagé entre sa réceptivité et sa spontanéité, son ouverture ontologique et son pouvoir d’articuler un «discours des choses». Kant indique également deux modes «médiateurs» entre le continu et le discret: le schème , qui anime les concepts de façon à les rendre à même de synthétiser le sensible, et l’idée, qui passe à la limite, pose des objets idéaux à l’horizon du système actuel de l’entendement, qui prescrit en quelque sorte à ce dernier la poursuite de l’infini dans toutes les directions logiques, comme pour «rejoindre» ou restituer l’infinitude de la présentation sensible, ou celle qui soutient nouménalement le monde. Il n’est pas inintéressant de noter que la problématique logico-mathématique fondationnelle du continu et du discret trouve des antécédents dans ce dispositif kantien: l’infini actuel, et le continu avec lui, sont récusés par les intuitionnistes de la même façon que Kant rejette l’usage constitutif de l’idée; plus profondément, la distinction entre les notions du langage formel et celles du modèle, qui est à la base de toute la «théorie des modèles», reprend le clivage kantien, s’il est vrai que du côté du modèle a lieu la «présentation» d’un infini qualifié par les logiciens d’«intuitif», cependant que le concept d’infini (et ses sous-variétés du genre dénombrable, continu, etc.) reçoit du côté du langage formel une signification purement fonctionnelle ou syntaxique (un ensemble infini est un ensemble rendant valide une certaine formule lorsqu’on insère sa lettre à une certaine place).

Le développement philosophique ultérieur de la pensée du continu et du discret se comprend également à la lumière des rôles distribués par Kant pour les différents termes. On pourrait dire par exemple que le courant phénoménologique a voulu penser jusqu’au bout l’idée du continu comme condition fondamentale de la présentation: les évidences husserliennes, ainsi, sont saisies par la conscience en elle-même, l’hypothèse dirigeant tout le discours de cet auteur étant que dans cette saisie qui n’en est pas une, la conscience se découvre «flux héraclitéen». C’est donc un glissement continu, qualifié de la sorte explicitement par Husserl en maint endroit, qui caractérise de la manière la plus essentielle la présentation la plus originaire. On peut aussi repérer, dans le système aux accents pourtant fort différents de Heidegger, la persistance de ce lien du continu avec la présentation: si la déclosion de l’Être dans l’étant est pensée comme discontinuité, le mot possède ici le sens de l’emploi adjectival en mathématiques, il s’agit d’une rupture se manifestant sur le fond d’une certaine richesse infinitésimale, d’un «contact limite» métaphorisé de manière spatiale entre l’ 見神﨎晴福礼益 de l’Être et le plan de l’étant.

Plus immédiatement prégnante est sans doute pour notre pensée la «propagande» effectuée par le structuralisme en faveur du discret, dont un des aspects fut la reprise sous une forme plus radicale des thèmes kantiens concernant l’entendement et les systèmes qu’il produit. L’hypothèse fondamentale selon laquelle ce qui est premier, ce n’est pas l’objet dans son individualité, mais l’ensemble des rapports, qui détermine l’objet en tant que «point de croisement» des lignes relationnelles, fait écho à la définition fonctionnaliste des concepts a priori de l’entendement chez Kant. Cette méthode conduit à la mise en place de réseaux au sein desquels chaque unité significative se pose en rupture avec les autres qu’elles, la hiérarchie des distributions de cette sorte s’organisant en tableaux qui rendent compte des articulations diverses (la table des catégories serait l’ancêtre de ces derniers). Cette démarche s’applique à toute espèce de réalité qui offre des «répétitions empiriques» analogues à celles des phonèmes et des morphèmes, c’est-à-dire à toute espèce de réalité constituable comme «texte»; or si le discret est le régime de la spontanéité du sujet, comme l’affirme Kant, une telle constitution est possible sur tout ce qui de près ou de loin se laisse imputer à l’homme, à l’être de langage qu’il est. C’est ainsi que le structuralisme «installe» en premier lieu le discret comme forme de la description dans le discours des sciences humaines, mais à travers un idéalisme moderne qui rapporte tout au langage, le discret annexe tout ce qui est pensable, tout ce au sujet de quoi il y a théorie.

3. Jeu scientifique sur le continu et le discret

Conformément aux valeurs affectées par Kant au continu et au discret, la physique, science mathématique de la nature, se sert du continu et du discret pour modéliser le monde et comprendre la tension entre celui-ci et le discours qu’elle tient. L’interférence entre ce que dit la physique et le sens philosophique du continu, du discret et de leur opposition est devenue plus flagrante avec l’apparition des deux grandes théories «révolutionnaires» du début de ce siècle: la relativité et la mécanique quantique.

Il est possible de dire plus précisément que la relativité met en question le statut du continu des formes a priori gouvernant la phénoménalité, cependant que la mécanique quantique est en première approche une «critique» des standards logiques de jugement auxquels se réfère l’entendement. Ni la relativité restreinte ni la relativité générale ne mettent en cause le principe selon lequel le phénomène appartient à un continuum spatio-temporel. Mais la théorie restreinte reconsidère les statuts de l’espace et du temps dans ce continuum: leur distinction n’est plus absolue, elle est relative aux systèmes de mesure des observateurs «inertiaux»; chacun de ceux-ci pose un temps et un espace universels et «séparés», mais les partages des uns et des autres diffèrent, la théorie prescrivant la mathématique des traductions nécessaires. La théorie générale abandonne l’idée de modéliser l’espace-temps des événements de l’univers par un espace vectoriel, et lui substitue une variété différentiable. Ce concept exprime adéquatement l’idée majeure de la relativité: le continuum substrat des phénomènes n’est plus identifié que localement avec un morceau d’espace vectoriel de dimension 4 (mathématiquement, on dira que l’univers est localement homéomorphe à R4, avec des applications de transition suffisamment différentiables, pour que les concepts de la mécanique – vitesse, moment, etc. – aient un sens); cette idée est en fait déjà plus ou moins explicitement présente dans la théorie restreinte. Une telle redéfinition du cadre dans lequel la mécanique représente l’univers, tout en respectant le rôle assigné par Kant au continu, accentue le divorce entre ce dernier et la philosophie du Même, de la totalisation concordante: l’irréductibilité du local est affirmée dans le milieu ambiant du continu (mais Kant déjà considérait le divers, en tant que simplement «jeté» dans le temps et l’espace, comme menacé d’une incohérence absolue, comme susceptible de ne laisser se constituer ni objet, ni monde, ni sujet).

La mécanique quantique, de son côté, est célèbre pour avoir introduit un doute au sujet du déterminisme (inégalités d’Heisenberg), tout en justifiant théoriquement une description «granulaire», «discrète» du monde microscopique; de plus, on pointe volontiers qu’elle ne tient pas pour toujours possible la séparation des objets, qu’elle introduit un flou nécessaire dans le réel ou dans la prise que nous avons sur lui peut-être. Ces aspects divers concernent tous la fonction unificatrice de l’entendement, la nécessité de la «logique des objets de l’expérience». Dans une approche plus théorique du formalisme quantique, on commencera par faire observer en effet que certaines expériences portant sur des flux d’électrons paraissent contrevenir à la règle de distributivité du et sur le ou et vice versa en logique propositionnelle; l’élaboration complexe qui mène aux espaces de Hilbert généralisés se justifie alors par le désir de proposer un modèle mathématiquement commode pour une logique non distributive de la prédication des «états». On voit donc comment la mécanique quantique, bien qu’elle propose dans une certaine mesure une image discrète du réel (bien qu’elle s’inscrive dans la tradition atomistique, donnant lieu aujourd’hui à la physique des particules), met en crise la «régulation discrète» de la connaissance assurée par l’entendement: la contestation commence au niveau fondamental de la logique propositionnelle (des principes «analytiques» en termes kantiens), pour remonter au niveau de la logique transcendantale (crise de la catégorie de cause), et déboucher naturellement sur une relativisation de la notion d’objet, seulement supportée par ces logiques. Jusqu’à un certain point, les nouvelles règles introduites par la mécanique quantique réinjectent le continu dans la sphère de l’entendement. Cela se voit d’une part au niveau du rôle joué par la théorie des probabilités, puisque la mécanique quantique calcule les probabilités d’attribution des divers prédicats aux états, si bien que les jugements sont paramétrés par un nombre réel compris entre 0 et 1 (la notion d’état est même définissable en termes de probabilité, la donnée cohérente des probabilités de tous les prédicats possibles caractérise un état, pur ou impur); d’autre part, on étudie préférentiellement les particules dans des espaces de fonctions réelles de carré sommables, ce qui revient à assimiler les états corpusculaires à des «fonctions d’onde», pour reprendre les termes du langage classique: les sujets de l’énoncé pour les jugements sont mathématiquement déterminés comme «variations continues». Cette théorie extrêmement ambivalente à l’égard du continu et du discret, qui met un peu sens dessus dessous leurs affectations kantiennes, engendre une grande perplexité épistémologique et plusieurs «nœuds paradoxaux» générateurs de débats infinis: n’est-ce pas un indice de l’importance du couple formé par le continu et le discret dans l’«équilibre» de l’édifice scientifique?

On a parlé ci-dessus de la théorie des probabilités: cette dernière mérite une évocation particulière, parce que le passage du discret au continu est un moment essentiel de cette théorie dans son aspect mathématique pur, et parce que les applications de la théorie sont en rapport avec la charge «ontologique» de l’opposition du continu et du discret. Le calcul mis au point par Pascal portait sur des «univers d’éventualités» finis , les applications probabilités définies sur ces ensembles ayant la propriété dite d’additivité en langage actuel: celle-ci énonce que des événements logiquement décomposables en sous-événements deux à deux incompatibles ont une probabilité égale à la somme de celle de leurs composants. Ce calcul convient pour les processus aléatoires dont les issues peuvent être isolées les unes des autres, et donner matière à la définition d’un ensemble fini d’«atomes du hasard» ou «événements élémentaires»: c’est un calcul qui se situe résolument dans le discret. La généralisation de cette théorie permet de traiter des processus dont les issues ne sont pas séparables, collent les unes aux autres, ce qui est par exemple le cas lorsqu’elles se distribuent dans un continuum. La théorie mathématique de la mesure, qu’on fait intervenir ici, ne tient plus pour significative la probabilité de voir sortir un cas parfaitement individué (une telle probabilité est en fait toujours nulle dans le cas continu), mais la probabilité pour que le cas sortant appartienne à une «région» de l’ensemble des cas possibles (on remarque la dimension topologique de cette notion). Au lieu de la propriété d’additivité, la propriété de 靖-additivité exprime la possibilité d’un passage à la limite dans le calcul de la probabilité d’une réunion dénombrable d’événements deux à deux disjoints. L’ouverture sur le continu et le topologique suscite les problèmes de «convergence», comme il est naturel. Or cette théorie des probabilités «générale» s’applique de deux manières: ou bien (en physique essentiellement) à des situations «par elles-mêmes» continues (à des phénomènes naturellement repérés par des grandeurs continues, en raison de la nature des formes a priori dirait Kant), ou bien à des situations discrètes, mais où l’ensemble des cas possibles est «très abondant», si bien que les calculs discrets peuvent être correctement approximés au moyen de formules «continues», de calcul différentiel ou intégral, éventuellement plus simples; dans ce dernier cas, il y a donc renversement du dispositif kantien, le discret est du côté du «donné», du matériel statistique par exemple, et le continu du côté de l’«idéalisation scientifique», il appartient à un univers brodé par le discours rationnel à partir de ce donné, la corrélation entre les deux étant de l’ordre de la convergence, associée à l’idée chez Kant.

On pourrait encore citer de nombreux développements scientifiques où ces figures, et d’autres, apparaissent, témoignant de la profondeur, la richesse et la fécondité de l’opposition du continu et du discret. L’un des plus impressionnants sur le plan conceptuel est celui de la théorie des catastrophes, à partir des travaux de R. Thom. Sans entrer dans le moindre détail, disons que les concepts de la topologie différentielle (branche de l’analyse réelle) sont utilisés pour présenter un modèle abstrait de la «morphogenèse», des évolutions qualitatives de toute nature dans tout substrat et de leurs «accidents», la théorie se montrant capable de classifier ces derniers, de les subsumer sous des types topologiques. R. Thom a pensé les applications les plus variées de sa théorie, partant de l’hypothèse héraclitéenne selon laquelle le conflit est père de toutes choses; en particulier, il rend compte de certains aspects de la structure linguistique discrète (les configuration «actancielles», par exemple); on devine la subtilité des problèmes épistémologiques et ontologiques soulevés par cette démarche en ce qui concerne le continu et le discret.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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